Conter, rationaliser, discipliner. Une approche critique de la comptabilité.

Présentation

La comptabilité est considérée comme LE langage des affaires. Ce langage est apparu pour donner une image chiffrée et monétaire des entreprises à but lucratif. Pourtant, les outils et concepts de la comptabilité envahissent aujourd’hui de larges sphères de la société. Les notions de rentabilité, de coût ou de performance sont omniprésentes et la gouvernance par les nombres est devenue un dispositif central de régulation de la plupart des organisations.

La comptabilité est généralement vue comme une simple technique -obscure et ennuyeuse- qui dit le juste et le vrai. Pourtant, les comptables savent qu’elle repose sur des conventions, qu’un résultat d’entreprise est une construction et qu’il n’existe pas de coût juste. La comptabilité est à la fois le reflet des rapports sociaux et un dispositif utilisé, notamment par les actionnaires, pour s’approprier la valeur créée. Elle ne fait pas que donner une image de l’organisation, elle la crée et la transforme. Elle permet ainsi de raconter des histoires, de rationaliser des décisions et de discipliner les individus.

Accessible aux non-initiés, l’objectif de ce cours est de mettre en évidence les conventions sur lesquelles reposent les dispositifs comptables et d’explorer les effets de ces conventions sur les organisations, sur les individus et sur la société.

Professeur-e(s)

Samuel SponemSamuel Sponem est professeur à HEC Montréal et ancien président de l'association Canadienne des Professeurs de Comptabilité. Son enseignement et sa recherche portent principalement sur l’utilisation, la diffusion et les impacts des dispositifs de comptabilité et de contrôle de gestion au sein des organisations. Il a notamment co-dirigé le livre sur les « Grands auteurs en contrôle de gestion » (éditions EMS) et le « Petit bréviaire des idées reçues en management » (éditions La Découverte).
Mădălina SolcanuMădălina Solcanu est professeure à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal. Elle est membre de l'ordre des CPA et a été directrice adjointe certification et services conseils chez Deloitte. Elle enseigne la comptabilité financière avancée et les systèmes d’information comptable. En 2022, elle a soutenu sa thèse de doctorat intitulée « Les données environnementales traduisent-elles la performance environnementale? Une analyse de la construction des données environnementales en organisations » https://biblos.hec.ca/biblio/theses/solcanu_madalina_t2022.pdf.

Plan de session

Librairie Zone Libre, 262 Rue Sainte-Catherine E, Montréal, QC

Mar 27

Image(s) comptable(s) et répartition des profits

lundi, 19h, Librairie Zone Libre

La comptabilité telle qu’on la connaît sous sa forme actuelle a été inventée par des marchands vénitiens au 14ème siècle et formalisée en 1494 par Luca Pacioli, dans un livre faisant la synthèse des connaissances mathématiques de son époque. Dès sa création, elle permet aux propriétaires d’entreprise d’enregistrer les transactions réalisées avec les tiers afin de calculer les profits réalisés.

Elle a ainsi longtemps été vue comme l’algèbre du droit. Cette proximité avec les mathématiques lui donne un gage de validité et une apparence de neutralité. Pourtant, la comptabilité évolue dans le temps et diffère selon les pays. Elle donne donc une image de l’organisation qui dépend des conventions sociales de l’époque. Cette image n’est qu’une représentation possible parmi d’autres. Elle n’est pas neutre et a une influence sur la répartition des profits réalisés par l’entreprise entre ses principales parties prenantes: les salariés, les actionnaires, l’état et les citoyens. Ainsi, les normes comptables internationales actuelles sont à la fois le reflet du capitalisme financier et un dispositif qui participe à sa diffusion.

Cette première séance propose une introduction critique à ce qu’on appelle la comptabilité financière, à partir d’une présentation des principaux documents comptables (compte de résultat et bilan) et des conventions sur lesquelles ils reposent.

Présentation de la séance #1.


Avr 3

Comptabilité et discipline

lundi, 19h, Librairie Zone Libre

Les outils comptables sont généralement considérés comme utiles pour faciliter la prise de décision et le pilotage des organisations. La rationalité supposée des chiffres fait que la véracité des calculs résultants de ces outils est rarement mise en cause.

Pourtant, ces calculs reposent sur des hypothèses. Les hypothèses retenues influencent la représentation de la performance des différentes composantes d’une organisation, mais aussi – pour les firmes multinationales – la répartition géographique des profits, ce qui permet aux entreprises de choisir où sont payés (ou non) les impôts qui en résultent. De plus, ces outils sont porteurs d’un savoir qui est bien souvent utilisé comme un dispositif de pouvoir afin de justifier des décisions et de discipliner les salariés. Ils ont facilité la prise du pouvoir des directions d’entreprise par les financiers et conduisent bien souvent à considérer qu’on ne gère bien que ce que l’on mesure et donc à rendre invisible ce qui se mesure mal.

Cette deuxième séance propose une introduction critique à ce qu’on appelle communément la comptabilité de management, à partir d’une déconstruction de ses principaux outils (calculs des coûts, budget, tableaux de bord, prix de cession internes) et de leurs usages.

Présentation de la séance #2.


Avr 17

Gouvernance par les nombres et extension du domaine comptable : le cas de l’environnement

lundi, 19h, Librairie Zone Libre

La comptabilité s’étend à tous les types d’organisation. Le nouveau management public a notamment conduit à importer au sein des administrations publiques et des organisations sans but lucratif des concepts et outils issus de la comptabilité des entreprises privées. Les notions de performance, de coût ou de rentabilité sont par exemple devenues omniprésentes dans la gestion des écoles, des hôpitaux ou des ministères.

En plus de toucher toutes les organisations, la comptabilité se développe à de nouveaux domaines.

La création du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité sous l’égide de l’International Financial Reporting Standards (IFRS) Foundation – organisme qui s’occupe initialement de la normalisation comptable – est à ce titre particulièrement représentative. Elle traduit à la fois la reconnaissance par les cabinets comptables des enjeux relatifs au développement durable et leur prétention hégémonique. Ils souhaitent ainsi définir les « bonnes normes » de divulgation des informations environnementale afin d’étendre leur domaine d’expertise au-delà des informations financières. Cependant, les recherches montrent que cette divulgation environnementale est souvent utilisée par l’entreprise pour faire de l’écoblanchissement et qu’elle comporte de nombreuses failles.

Dans cette troisième séance, nous explorerons les effets de l’extension du domaine comptable à toutes les strates de la société et nous proposerons une analyse critique de la construction et de la divulgation des informations environnementales.