Peut-on imaginer rapport de force plus inégal qu’entre l’hérétique et l’inquisiteur ? Souvent analphabète, tenue dans l’ignorance des charges qui pèsent contre elle, la personne suspecte d’hérésie pouvait-elle se défendre ? Le silence obstiné était une preuve de culpabilité. Elle devait donc parler : avouer ses crimes et dénoncer ceux des autres. Aucun acquittement au tribunal inquisitorial ! Hormis quelques “endurcis” qui périrent sur le bûcher, les autres se sont soumis. Pourtant, leur obéissance apparente dissimulait une âpre résistance. En quoi consista-t-elle ? Quels en furent les enjeux ? Peut-elle encore nous éclairer sur des luttes inégales actuelles ?
Pour répondre à ces questions, nous plongeons dans l’histoire étonnante de Montaillou, petit village éloigné dans le temps… et cependant proche. L’époque n’est plus la même, mais le courage et la résistance de cette communauté villageoise prise entre les mailles du pouvoir nous interpellent encore aujourd’hui.
Ils écoutaient les pasteurs que l’Église persécutait. Elles discutaient des choses de la foi. Ceux et celles qui ne croyaient pas « comme il faut » se considéraient bons chrétiens. L’Église, elle, les accusait d’hérésie. À partir du XIIIe siècle, elle les soumit à l’Inquisition.
Dressons d’abord un portrait de la dissidence religieuse et de sa répression à l’époque médiévale. Le mot Inquisition évoque plusieurs images…, sont-elles justes ? Comment se déroule un procès ? Quelle relecture des textes révèle les stratégies, invisibles à première vue, de celles et de ceux qui se sont soumis et ont néanmoins réussi à éviter les peines les plus lourdes et à protéger les leurs ?
Montaillou, petit village de montagne à la frontière de la France et de l’Espagne, aurait pu tomber dans l’oubli. Or deux inquisiteurs y ont mené une enquête qui a duré dix-sept ans et produit des milliers de pages de procès-verbaux. Simples bergers, humbles paysannes, toute la population fut citée au tribunal entre 1308 et 1325. Ces gens parvinrent-ils à comprendre les enjeux de leur procès et à déjouer les stratégies de leurs inquisiteurs ? La communauté survécut-elle à cette expérience ? Quelles furent les tensions les plus vives ? Les solidarités les plus tenaces ?
Leur résistance n’est pas celle des puissants. Elle est ténue et difficile à repérer. Elle s’accommode de compromis douloureux. Même lorsqu’elle échoue, la résistance courageuse des faibles n’est pas moins réelle. Elle mérite d’être étudiée car elle questionne les idées reçues sur les rapports de domination. En ce sens, l’enquête sur Montaillou n’a rien perdu de sa pertinence. Peut-elle apporter un éclairage intéressant sur des luttes inégales actuelles, opposant des gens ordinaires aux tenants du pouvoir qui s’impose à eux ? C’est la question que nous posons pour conclure cette dernière séance.
Séance donnée avec Marie-Ève Maillé.