Deux inclassables du XXe siècle: Walter Benjamin et Henri Laborit

Présentation

Ce cours est le résultat de rencontres fulgurantes entre individus. Carlos Ferrand, cinéaste (Américano, 2008) est fasciné depuis ses études par Walter Benjamin et prépare depuis des années un film sur ce personnage. Bruno Dubuc, vulgarisateur scientifique et également cinéaste à ses heures, a été pour sa part grandement marqué par la pensée d’Henri Laborit à propos duquel il vient de réaliser un film.

La 3e rencontre qui va concrétiser ce cours survient il y a un an, quand Dubuc contacte Ferrand pour lui demander l’autorisation d’inclure sur son site web www.elogedelasuite.net consacré à la vie et l’œuvre de Laborit l’un de ses films dans lequel Laborit fait plusieurs interventions. Quelques échanges et dîners chaleureux plus tard naissait ce projet qui s’est imposé devant l’urgence de raconter ces deux personnages au-delà de ce que peut montrer un film. Deux personnages qui, malgré des univers très différents, se rejoignent par l’originalité de leur pensée et le caractère multidisciplinaire de leur œuvre.

Ce cours propose donc une facette de plus à deux work-in-progress en cours depuis déjà un bon moment en faisant se rencontrer Benjamin et Laborit par leurs cinéastes interposés. Il y aura deux séances sur Benjamin données par Carlos Ferrand et deux séances sur Laborit données par Bruno Dubuc. On espère ainsi faire mieux connaître ces deux penseurs inclassables du XXe siècle et montrer comment leurs constats lucides sur notre monde est plus que jamais criant d’actualité.

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Petite note biographique sur chacun des personnages :

Walter Benjamin (1892-1940), celui que Susan Sontag présente comme « le dernier intellectuel européens » est à la fois fils de Marx et de Moïse, ami de Brecht, de Scholem, d’Arendt, d’Adorno et frère de coeur de Baudelaire et de Kafka. Il fut, entre autres, le premier introducteur et traducteur de Kafka en France et le premier traducteur de Proust en allemand. Son oeuvre principale est le fameux Livre des Passages (Passagenwerk), ensemble kaléidoscopique déroutant constitué à 80% de citations de différents auteurs qui laissent affleurer les séductions de toute une vie. Il invente la modernité dans cette œuvre exceptionnelle qui récuse les systèmes, abolit les frontières entre les disciplines, explore nombre de formes, donne au fragment, à l’inachevé, à la citation, leurs lettres de noblesse.

Pour sa part, Henri Laborit (1914-1995) fut d’abord chirurgien de la marine française où il bouscula plusieurs concepts de la médecine. Par la suite chercheur en neurobiologie, il introduisit la chlorpromazine en psychiatrie. La découverte de ce premier tranquillisant lui valut le prix Albert Lasker, l’équivalent américain du prix Nobel. Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages spécialisés ou destinés à un public plus large, il s’est intéressé à tous les niveaux du comportement humain, de la molécule à l’ensemble social. Il fut en ce sens un pionnier de l’approche multidisciplinaire dont se réclament aujourd’hui les sciences cognitives (à une époque où c’était encore mal vu). Le long-métrage d’Alain Resnais Mon oncle d’Amérique, prix du jury au festival de Cannes en 1980, est construit à partir de certaines thèses de Laborit qu’il défend lui-même dans le film.

Professeur-e(s)

Bruno DubucBruno Dubuc détient une maîtrise en neurobiologie et a fait de la vulgarisation scientifique pour des séries télé et des magazines pendant une dizaine d’années. Depuis 2002, il est rédacteur du site web et du blogue www.lecerveau.mcgill.ca ainsi que conférencier sur les neurosciences. Il se consacre depuis le printemps 2020 à la rédaction d'un ouvrage sur ce qu'il croit avoir compris de tout ça, à paraître fin 2023.
Carlos FerrandNé à Lima, au Pérou, en 1946, Carlos Ferrand Zavala est établi à Montréal depuis plus de 35 ans. Diplômé de l'Institut national d'études cinématographiques de Bruxelles en Belgique, Carlos Ferrand travaille comme réalisateur, scénariste et directeur photo. Fidèle à ses origines latino-américaines, il valorise la non-spécialisation et s'intéresse autant au documentaire qu'à la fiction.

Plan de session

Cours donné à l'Auditoire, 5214 Boul St-Laurent, Montreal, à 19h

Fév 13

Première du film « Sur les traces d’Henri Laborit»

samedi, 19h, L'Auditoire

Ce premier rendez-vous est très différent des séances suivantes de ce cours qui auront le format plus standard de l’UPop, c’est-à-dire une heure de présentation suivie d’une heure de questions de d’échanges. Voici comment il se déroulera.

19h Ouverture des portes et vernissage de l’exposition « De l’hibernation artificielle à la psychopharmacologie ». Il s’agit d’une exposition de 13 panneaux mettant en valeur la place fondamentale mais oubliée des découvertes d’Henri Laborit dans l’histoire de la médecine du XXe siècle. Les 10 premiers panneaux sont des reproductions d’originaux qui ont été créé à partir de documents des archives Laborit conservées à l’université Paris-XII Val de Marne. D’octobre 2000 au printemps 2001, cette exposition itinérante a été vue dans quatre villes françaises. Les 3 derniers panneaux ont été créés à Montréal en 2015 pour compléter le tour d’horizon de l’œuvre de Laborit. Enfin, chaque panneau est assorti d’une citation de Laborit sur le biologique, le politique ou l’éthique qui rappelle l’aspect multidisciplinaire du personnage.

19h45 Quelques mots sur la démarche ayant conduit au film « Sur les traces d’Henri Laborit » et sur le site web Éloge de la suite (www.elogedelasuite.net) qui lui est associé. Je tenterai de montrer comment les deux forment un tout organique et comment l’un n’aurait pas pu exister sans l’autre. Le format particulier du film en 4 parties et le moment de leurs sorties respectives seront aussi rappelés.

La première partie intitulée « Traces » (7 minutes) est sortie sur le site web Éloge de la suite le 18 mai dernier, jour du 20 anniversaire du décès de Laborit. La deuxième partie a pour titre « Biologie » (1h18) et couvre les années 1914 à 1965. Ce sont donc ces deux premières parties formant un tout qui seront présentée le 13 février.

La troisième partie à venir s’appellera « Politique » et ira de 1965 au 9 décembre 1992. Et la quatrième partie aura pour titre « Éthique », commencera le 9 décembre 1992 et ira jusqu’à aujourd’hui. Vous aurez donc compris que les 4 parties formeront, à terme, un tout qui racontera l’histoire entremêlée de plusieurs personnages de 1914 à aujourd’hui.

20h Projection du film (durée : 1h25)

21h30 Discussion et échanges


Fév 24

Les intuitions de Laborit sur le cerveau

mercredi, 19h, L'Auditoire

Cette séance montrera, à travers plusieurs exemples, comment certains travaux de Laborit trouvent aujourd’hui un écho important dans la recherche contemporaine en neurosciences. Les cellules gliales, sur lesquelles Laborit a beaucoup travaillé, reçoivent ainsi aujourd’hui l’appellation de « l’autre moitié du cerveau » car on commence à s’apercevoir qu’elles contribuent énormément à la communication neuronale. Même chose pour son travail précurseur dans l’identification de différents « faisceaux » nerveux et son approche évolutive à partir du cerveau « triunique » de MacLean. Que peut-on garder de tout ça aujourd’hui ? Et comment les outils d’imagerie cérébrale dont ne disposait pas Laborit nous ont-ils permis d’aller plus loin ? Enfin, nous verront comment l’une des contributions les plus importantes de Laborit, le concept d’inhibition de l’action, n’a pas pris une ride et est confirmé jour après jours par toute la neuro-psycho-immunologie contemporaine sans qu’on en saisisse encore réellement toute la portée émancipatrice pour l’individu mais dangereuse pour le pouvoir en place. Ceci, bien entendu, expliquant cela.

Version pdf du Power Point de la présenttion «Les intuitions de Laborit sur le cerveau » donnée le 24 février 2016

Plus d’infos sur le site Éloge de la suite


Mar 9

La pensée de Walter Benjamin, un bouquet de sens

mercredi, 19h, L'Auditoire

Introduction à Walter Benjamin, vibrant entre théologie et Marxisme, entre Philo et poésie, entre gougouneries et 46 niveaux de signification.


Mar 23

Chiffonnier de l'Histoire : Walter Benjamin et les ruines du progrès

mercredi, 19h, L'Auditoire

Benjamin du côté des exclus. Progrès? Vive le doute. Fragmentaire, Inachevé. Mode et Révolution. Jouer sérieusement.


Avr 6

« Conscience, connaissance, imagination » : le leitmotiv de Laborit

mercredi, 19h, L'Auditoire

Laborit a souvent dit qu’il faudrait remplace la devise française « Liberté, égalité, fraternité » par « Conscience, connaissance, imagination ». Cette séance tente d’expliquer cette position qui peut paraître à première vue surprenante. Nous tenterons d’abord de décortiquer la belle maxime française et de voir ce que recouvrent ces mots au-delà des bonnes intentions. Qu’est-ce que les neurosciences ont par exemple à dire sur la notion de libre arbitre ? Comment parler d’égalité dans un monde qui s’emploie essentiellement à reproduire les échelles hiérarchiques de dominance ? Que reste-t-il de la fraternité dans un monde de guerres alimentées par les puissances économiques ? Nous verrons ensuite, par contraste, toute la portée subversive du leitmotiv laboritien. Après avoir donné un aperçu des modèles actuels de la conscience humaine en sciences cognitives, diverses expériences seront présentées pour montrer à quel point nombre de nos comportements sont automatisés et comment il faut se méfier de notre langage conscient toujours prompt à fournir des alibis langagiers à nos motivations inconscientes. Quelques idées de Laborit sur la connaissance seront ensuite abordées à travers son ouvrage « La société informationnelle. Idées pour l’autogestion ». Et nous concluront en mettant en parallèle certaines conceptions de Laborit et de Francisco Varela sur la nature humaine, et en particulier sur l’imaginaire.

Version pdf du Power Point de la présenttion «Conscience, connaissance, imagination : le leitmotiv de Laborit » donnée le 6 avril 2016

Plus d’infos sur le site Éloge de la suite